Cédric Berthod, coordinateur Eau, Hygiène, Assainissement au sein de l’association Solidarités International nous offre son témoignage et présente les actions mises en place par cette organisation, dans les bidonvilles et squats.
Spécialisée dans la sécurisation des conditions de vie dans ces lieux de vie informels et précaires, l’association agit depuis 2020 en France sur ces questions.
Propos recueillis par Charlotte Piana, chargée de déploiement de la plateforme Résorption-bidonvilles.
En quoi consiste votre action sur les bidonvilles ?
L’association Solidarités International travaillait au départ plutôt à l’international, mais depuis mars 2020, dans le contexte de la pandémie, elle intervient également en France pour améliorer les conditions de vie des personnes vivant dans des situations précaires, en bidonvilles et squats.
Son action est centrée sur l’amélioration et la sécurisation de l’accès à l’eau et l’identification de solutions d’assainissement (accès à des toilettes, à des douches, évacuation des déchets).
On essaye également de s’intéresser à tous les aspects de l’amélioration de l’environnement de vie dans ces lieux.
Pour ma part, je suis coordinateur Eau, Hygiène, Assainissement et suis donc référent technique sur ces thématiques. Mes missions sont d’être force de proposition à l’externe, pour les structures qui nous sollicitent, mais aussi en interne, quand les équipes travaillent sur le terrain. Je fais aussi du travail de coordination des actions de terrain dans une zone géographique donnée (Région parisienne, Métropole européenne de Lille et le Nord littoral).
Concrètement, sur un bidonville comme celui de Stains (93), que peut-on attendre de votre intervention ?
Plusieurs aspects. Il y a tout d’abord un côté interventionniste, urgentiste. Avoir et maintenir un accès à un service primordial tel que l’eau.
Le travail en cours est d’entretenir et faire en sorte que toute personne du site puisse avoir un accès facile et sécurisé à l’eau, mais aussi d’être force de proposition, auprès des collectivités territoriales et de l’Etat, de projets plus ambitieux. Le but est de trouver des solutions à mettre en place sur le temps d’existence du site.
Sur ce bidonville, il y a, par exemple, une problématique des déchets importante. Il y a également des solutions techniques qu’on essaye de défendre, notamment pour les toilettes auprès d’autres acteurs.
Les besoins sont très importants sur les conditions de vie. On peut proposer des choses sur beaucoup de thématiques, mais on reste très tributaire d’une volonté d’agir des acteurs institutionnels sans laquelle des propositions techniques restent des propositions sur papier.
En effet, pour être en capacité de mener un projet sur un site il doit y avoir une convergence entre de nombreux acteurs institutionnels (préfecture, EPCI, mairies), associatifs, délégataires… Dans de nombreux cas sur le terrain, nous constatons l'absence de cette convergence, notamment côté institutionnel, fragilisant toute possibilité d'organisation d'une réponse, à la fois au niveau financement, mais également au niveau de la collaboration avec des services techniques/délégataires qui dépendent de ces acteurs.
Les raisons peuvent être multiples : désintérêt voire hostilité pour la question d'un des acteurs, désaccord sur les modalités de gestion notamment dans le partage de responsabilités/financement entre état et collectivités, divergence de point de vue entre les échelles municipales et EPCI/métropole sur le sujet…
Il y a donc un rôle de technicien, mais on se charge aussi du plaidoyer pour montrer ce qui est possible. Sur Stains, on peut faire beaucoup de choses, mais tout va dépendre de la volonté à réaliser dans un contexte donné. Chaque bidonville est une sorte de projet où on peut penser beaucoup de choses, mais ces équilibres et réalités vont faire dépendre la capacité de faire.
Dans ce cadre, le site de Stains n’est pas le plus représentatif de ce qui peut être déployé. Les enjeux sont multiples. L’accès à l’eau a été mis en place et est maintenu, mais le reste des améliorations restent lettre morte car il n’y a pas de réaction de la municipalité sur ces éléments.
Et que peut-on attendre de votre intervention sur d'autres bidonvilles ?
Dans l’absolu, on aimerait pouvoir pousser le fait de créer les bonnes conditions pour qu’un projet de résorption puisse être mené à bien, en répondant correctement aux besoins des personnes d’un point de vue très pratique : comment faire pour avoir de l’eau, de l’électricité, des toilettes ? Libérer leurs esprits de ces contraintes pour se concentrer sur le cœur de l’action de ces terrains : la résorption par le haut, par leur implication dans des projets d’insertion.
Tous les choix techniques sont faits pour aller dans ce sens : des solutions temporaires, faciles à mettre en place et à retirer. Et en travaillant avec les acteurs déjà impliqués dans ces compétences-là.
L’idée est que pour le temps d’existence d’un site, les conditions de vie soient sécurisées. Cela permet de libérer ces personnes de ces contraintes matérielles pour leur permettre de s’inscrire dans un projet d’insertion.
Quand les planètes s’alignent, on devient un acteur parmi d’autres qui travaille sur une thématique en complément des autres (scolarisation, insertion vers l’emploi…). Cela recouvre un aspect très technicien d’aménagement sommaire, mais répondant à des besoins fondamentaux pour permettre des projets de résorption. Ils ne peuvent avoir lieu que si les conditions de vie basiques sont réunies. Ce qui donne les meilleures chances de réussite.
Quelles sont vos principales difficultés ?
C’est vrai dans tous les territoires, il y a une problématique de compétences : souvent les acteurs se renvoient la balle pour mener à bien ces projets. Il y a une réelle inertie dans la possibilité de mettre en place ces améliorations. Il s’agit aussi de trouver des budgets.
L’instruction de 2018 est récente et cette question n’est prise sous cet angle que depuis très récemment. On fait donc face à des services qui n’ont pas l’habitude de ces situations qui, même avec une bonne volonté, ne savent pas comment gérer cette question.
Dans ce contexte il est normale qu’il y ait besoin de temps pour que cela rentre dans le giron des élus, soit compris, d’avoir les mécanismes établis pour le faire, que cela devienne plus automatique… Cela représente un grand travail d’information et d’accompagnement des collectivités et c’est évidemment plus long s’il y a une opposition ou une non volonté d’agir, il y a alors un besoin, en plus, de convaincre du bien-fondé de l’action.
Dans beaucoup de cas, il y a aussi un réel besoin d’information sur la manière de mener ces projets et, quand ils font face à cette problématique, une forte demande à se faire accompagner sur comment les gérer.
Un autre obstacle peut être l’absence de stratégie pensée à échelle d’un territoire, et le changement de personnes à certains postes clés en cours de projets. On peut alors avoir des virages très importants dans les stratégies mises en œuvre qui peuvent être très défavorables aux publics que nous souhaitons aider par nos actions.
En plus de ces questions s’ajoute ensuite celles de l’adéquation des réalités techniques et de savoir comment on va pouvoir les mettre en place des infrastructures amovibles en prenant en compte les spécificités d’un habitat temporaire.
Pour l’accès à l’eau, avec quelques aménagements et de l’entretien, on peut faire sans trop de difficultés quelque chose considéré par nos pairs technique comme acceptable. Sur d’autres thématiques en revanche, les toilettes et douches par exemple, c’est beaucoup plus compliqué car l’assainissement (la maitrise des risques environnementaux de pollutions liées aux rejets non maitrisés) est pensé et cadré pour fonctionner pour de l’habitat pérenne. Ça ne correspond pas aux bidonvilles. Il y a donc un besoin de penser des systèmes qui pourraient satisfaire la réglementation et correspondre aux habitants et le contexte du lieu. C’est souvent difficile à concilier.
On travaille donc aussi avec les institutions pour repenser l’usage de ces réglementations sur ces cas particuliers au risque de se retrouver devant une impasse : l’idée n’est pas de mettre en place du matériel voué à durer, alors que ces lieux ne le sont pas.
Mais cela pose aussi la question de ce qu’on met en place et de la généralisation de ces solutions. Il faut mettre des choses en place, mais il faut aussi voir l’impact plus large qui se produit et les précédents que cela crée. Il ne faut pas que ça soit contreproductif. On ne veut pas amener l’idée que la résorption serait impossible car elle demanderait des choses trop coûteuses pour les généraliser.
On doit donc penser à ces trois aspects : l’aspect technique, l’aspect gouvernance et l’aspect pratique.
On discute avec les services compétents pour les sensibiliser là-dessus et voir comment, de manière organisée, on peut mettre en place des choses un peu différentes pour tenir compte de ce type d’habitat précaire et non pérenne. Ça reste difficile de leur faire accepter ces éléments.
Il faut en tout cas garder en tête que la finalité, c’est la résorption.
Photo prise près d’un bidonville à Stains (93). A gauche, Cédric Berthod, à droite, Charlotte Piana.
Vos principaux sujets de fierté ?
Avoir, maintenant pu entériner, par le biais de Solidarités International et avec l’aide d’autres acteurs, le fait que l’accès à l’eau est possible et que ce ne soit plus remis en question. Avoir réussi à avancer sur cette question.
Je suis un acteur jeune dans ce domaine, puisque ça fait 2 ans que je travaille sur cette thématique, mais en discutant avec des personnes qui travaillent depuis longtemps, il y a eu une progression rapide. Je suis heureux d’avoir pu y contribuer même si l’accès à l’eau reste une toute petite pierre à cet édifice et ce travail compliqué de résorption digne et entière.
Je suis évidemment fier d’avoir contribué à améliorer les conditions de vie de personnes en France et d’avoir permis de changer la manière dont cette question est posée.
Des parallèles avec des situations que vous avez pu connaître ailleurs ?
J’ai travaillé un peu dans des contextes dégradés en Afrique. Quand on a commencé en France, on ne pensait pas voir un tel niveau de détresse et de précarité aux portes de chez nous. Pour tout le monde, ça a été un réel choc. Mais par le fait qu’on a l’habitude de ces situations, ça nous a permis de faire des ponts plus facilement avec des choses qu’on a vu dans des pays beaucoup plus précaires.
Mais ça restait choquant. D’autant plus dans un pays riche comme la France où le contraste apparait d’autant plus. Cela amène d’autant plus une révolte : pourquoi c’est si compliqué de mettre un accès à l’eau par exemple ?
Dans des pays plus pauvres, on sait que leurs capacités peuvent être moindre, on peut « comprendre » l’existence de besoins contre lesquels il faut évidemment agir, C’est moins compréhensible en France.
Ça renforce une impression d’abandon — que les habitants ressentent. Ça pousse à se poser la question, on veut comprendre pourquoi. Agir sur ces sujets en France tombait donc sous le sens. Et ça tombait bien dans le cadre de Solidarités International car nous sommes militants pour l’amélioration des conditions de vie.
Vos objectifs, vos espoirs ?
On a beaucoup avancé pour l’eau et j’espère pouvoir continuer à porter ces actions sur d’autres thématiques essentielles pour l’amélioration des conditions de vie des habitants
J’espère qu’avec tous ce que nous tentons d’induire et de structurer avec nos partenaires, cela pourra permettre aux pouvoirs publics de mener des projets sur leur territoire, les accompagner et réussir à passer à l’étape d’après qui est donc la résorption.
Qu’on puisse parler de résorptions, là où, pour l’instant, ce sont des cas très isolés. On travaille, là, activement, sur une soixantaine de bidonvilles, on est en lien avec les habitants, on a mis l’eau et fait d’énormes progrès, mais on croit en ce travail de résorption et ce qu’elle porte. On l’a fait par le passé et j’espère que ça puisse poindre à nouveau.
Nous restons mobilisés pour l’accompagner.
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