Le 28 juin dernier, la Dihal organisait un atelier à dimension européenne sur le thème « Antitsiganisme : comprendre pour nommer et agir ». Il a réuni plus de 200 personnes à distance et dans l’amphithéâtre de la Grande Arche de La Défense à Paris. C’était sans doute l’un des premiers événements en France, sinon le premier, organisé par des pouvoirs publics et traitant explicitement de l’antitsiganisme.
Contribution de Manuel Demougeot, directeur de la mission Résorption Bidonvilles à la Dihal, point de contact national français auprès de la Commission européenne sur les populations « roms »
Notre objectif était que cet atelier soit un point de départ pour mieux faire connaître cette réalité vécue, souvent ignorée. Un point d’appui pour engager dans les années à venir une dynamique partenariale contre cette forme spécifique de racisme et renforcer les actions prévues notamment dans le cadre de la stratégie française 2020-2030 en réponse à la recommandation européenne sur les Roms de mars 2021.
Cet atelier était aussi le fruit d’une réflexion et d’un travail que nous conduisons depuis plusieurs années à la Dihal avec Sylvain Mathieu et toute l’équipe du pôle Résorption Bidonvilles, en partenariat aussi bien avec les institutions et partenaires européens qu’avec le monde associatif.
Je propose ici un retour en arrière sur la genèse de cet atelier, autour de trois souvenirs qui me reviennent spontanément en mémoire.
Je me souviens tout d’abord d’une conférence organisée en avril 2013 à Stockholm par le gouvernement suédois. En tant que point de contact national français auprès de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe, j’avais été invité à présenter un état de l’antitsiganisme en France. Participaient notamment des représentants d’institutions en charge de la défense des droits de l’homme qui ont contribué à faire avancer la notion d’antitsiganisme, comme le Suédois Thomas Hammarberg, ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe de 2006 à 2012. J’étais déjà bien au fait à ce moment-là des stéréotypes, du racisme et des discriminations dont les gens du voyage et les « Roms » sont l’objet, mais c’était la première fois que j’étais amené à me familiariser au néologisme d’antitsiganisme (antigypsyism en anglais), construit depuis plusieurs années par des ONG et des institutions européennes.
Le deuxième souvenir qui me revient en mémoire est une conversation avec Szabolcs Schmidt, le chef de l’unité « Roms et anti-discrimination » de la Commission européenne. Cela devait être en 2018 ou 2019, en marge d’une rencontre des points de contact nationaux « roms ». Comme presqu’à chaque fois lors de ces réunions à Bruxelles, j’explicitais notre approche française sur les populations dites « roms », approche qui, bien qu’elle ne reconnaisse pas les minorités, n’empêche en rien de définir et mettre en œuvre des politiques efficaces en faveur des populations visées et qui présente en outre l’avantage de ne pas enfermer les personnes dans une origine ethnique et culturelle.
Et j’en concluais que le cadre commun européen ne devrait pas cibler les « Roms », groupe dont la définition d’ailleurs prête à discussions, mais des questions sociales et économiques, par exemple la mobilité de citoyens européens en grande précarité au sein de l’UE, la lutte contre la pauvreté, la prise en compte du mode de vie itinérant de certaines personnes… Le chef d’unité « Roms et anti-discrimination » m’avait répondu à peu près en ces termes : « Mais toutes les populations visées par le cadre européen sont victimes de racisme, et ce dans tous les pays de l’Union. Cela ne justifie-t-il pas qu’il y ait un cadre commun
européen ? »
Le troisième souvenir qui me revient en tête est plus récent. C’était l’année dernière dans le contexte de la préparation de la réponse française à la recommandation du Conseil de l’Union européenne pour l’égalité, l’inclusion et la participation des Roms de mars 2021. Chargés de coordonner les travaux préparatoires, nous avons conduit à la Dihal des consultations avec les différentes parties prenantes, administrations, collectivités locales, associations…
A ce titre, nous avons auditionné Saimir Mile, responsable de la Voix des Rroms, un de nos interlocuteurs réguliers qui participe notamment aux travaux de la Commission nationale de la résorption des bidonvilles. Lors de notre entretien, je lui ai demandé ce qu’il attendait de la Dihal. Il m’a répondu que pour lui un des points forts de la Dihal était sa position de point de contact français auprès des institutions européennes qui lui permettait d’être à l’initiative d’un événement européen sur l’antitsiganisme.
Nous avons porté cette proposition dans la stratégie française, et le principe a été retenu dans le document présenté fin janvier 2022 à Bruxelles. En lien avec nos partenaires de la Commission européenne, il nous a semblé important que cet événement puisse se tenir durant la présidence française de l’Union européenne, donc avant le 30 juin. Ce fut alors le branle-bas de combat à la Dihal pour organiser dans les temps cet atelier, avec le concours précieux de la Voix des Rroms et du Réseau ERGO pour la conception du programme.
J’aurais pu citer nombre d’autres souvenirs entrant dans la genèse de cet atelier, comme le choc des violences racistes sur des bidonvilles en mars 2019 suite à de fausses rumeurs d’enlèvement d’enfants, ou encore le constat récurrent des discours qui amalgament roms et gens du voyage (y compris de la part de personnes très informées) ou des réponses en matière de résorption des bidonvilles qui pensent les choses pour une communauté supposée, y compris parfois dans une approche bienveillante à travers des formes d’habitat adapté (villages « roms », etc.)… Autant de discours ou de situations qui nous ont convaincus de la nécessité de traiter ce sujet.
Ces quelques souvenirs soulignent deux éléments :
tout d’abord, cet atelier n’aurait pas pu voir le jour sans les travaux conduits depuis de nombreuses années par les institutions européennes, par la société civile, par des chercheurs, pour construire et faire avancer le concept d’antitsiganisme ;
ils illustrent ensuite la méthode d’action de la Dihal, qui se définit notamment par un travail profondément partenarial et d’écoute, avec la société civile notamment, mais également par la capacité à faire, à travailler un sujet dans la durée, en saisissant les opportunités pour le traduire en actes et ne pas laisser les intentions à l’état de discours.
Cet atelier m’a fait prendre conscience de deux choses enfin :
premièrement, la lutte contre l’antitsiganisme, qui n’est pas dans le cœur des missions de la Dihal que sont l’hébergement et l’accès au logement, est fortement liée à l’action concernant les gens du voyage et la résorption des bidonvilles : déconstruire les biais à l’œuvre — bien souvent de manière inconsciente — dans l’antitsiganisme, est essentiel pour penser et mettre en œuvre des solutions efficaces et républicaines dans ces deux domaines ;
deuxièmement, la lutte contre l’antitsiganisme permet de réconcilier l’approche européenne et l’approche française des populations dites « roms » et gens du voyage, et d’ouvrir ainsi un espace commun de dialogue et de travail avec la Commission européenne.
Avant de terminer cette contribution déjà longue (mais sur ce sujet important et concernant un événement qui, je l’espère, lancera une dynamique nouvelle dans les années à venir, cela en valait la peine), je recommande la lecture d’un article d’Ilsen About paru en 2020 dans la revue Communications et intitulé «Un racisme sans nom. Les origines historiques de la haine antitsigane». Il fait partie des plus éclairants que j’ai pu lire.
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