top of page

Entretien avec les fondateurs de l’association Trajectoires : Alexandre Le Clève et Olivier Peyroux

Fondée en 2013 par Alexandre Le Clève et Olivier Peyroux, l'association Trajectoires a pour objectif d’appuyer les acteurs publics et associatifs dans la mise en place de solutions pertinentes pour l’insertion sociale des populations migrantes habitant en bidonvilles et squats en France, et notamment des populations originaires d’Europe de l’Est (Roumanie, Bulgarie, pays des Balkans).


L'association a notamment développé une expertise particulière dans l'analyse des phénomènes d’emprise dont peuvent être victimes ces populations et qui constituent bien souvent des obstacles à leur adhésion aux dispositifs de droit de commun.


Entretien avec les deux fondateurs de l'association rencontrés à Paris en septembre 2023 (propos recueillis par Laure Dubuc, cheffe de projet à la Dihal).



  • Question : Vous avez créé l’association Trajectoires en 2013. Qu’est-ce qui vous y a conduit ?

L’association est née de nos constats concernant la prise en compte des populations marginalisées, notamment celles vivant en bidonvilles. Les discours pouvaient être très irrationnels et il manquait des études réelles, objectivées pour mettre en place de véritables politiques publiques d’insertion. Nous souhaitions faire la synthèse du travail de terrain mené par quelques associations mais qui pouvait manquer de recul et de perspectives, et les laboratoires de recherche parfois trop déconnectés de la réalité de terrain. Ce positionnement avait été testé au sein de l’association Hors La rue où nous avons travaillé avant et où nous nous sommes rencontrés. En créant Trajectoires, nous sommes allés jusqu’au bout de la logique, celle du constat et de l’analyse de terrain se fondant sur les outils de la recherche en sciences sociales. Cela aide les acteurs à sortir du jeu de posture et permet des mettre en lumière des phénomènes non pris en compte par l’ensemble des intervenants.


Aujourd’hui peu conteste que la politique d’expulsion systématique des bidonvilles n’a aucun sens, et qu’il faut trouver des politiques adaptées à chaque territoire œuvrant à l’insertion des habitants des bidonvilles, et donc à la résorption durable des bidonvilles. Trajectoires s’est toujours positionnée dans cette logique.


  • Question : L’objectif principal de l’association est de renforcer la capacité des acteurs à orienter leurs actions dans le sens des besoins réels des populations migrantes habitant en bidonville. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Au fil des années, nous avons évolué et élaboré notre méthodologie : la porte d’entrée est d’avoir une connaissance la plus fine possible de la cellule familiale et des dynamiques internes au groupe en s’appuyant sur une observation des lieux, sur des entretiens individuels et confidentiels avec les personnes à plusieurs heures de la journée, dans la langue maternelle, sans intermédiaire ou interprète.


Nous sommes convaincus que la compréhension des situations individuelles et familiales passe par une connaissance fine de l’histoire, du pays d’origine, des réalités socio-économiques locales, des dynamiques migratoires, de la culture, des valeurs des personnes… C’est pourquoi l’équipe, composée de professionnels avec des profils divers (sociologie, droit, sciences politiques, travail social…), cultive une connaissance approfondie des situations sociales, économiques, politiques des pays concernés et parle différentes langues. L’association fait en outre régulièrement appel à des professionnels qui maîtrisent la langue des personnes concernées.


Ensuite, le diagnostic du bidonville est partagé à l’ensemble des acteurs qui interviennent sur le site. L’objectif est d’aboutir à une vision commune des enjeux, des problématiques, de la méthodologie qui pourra être mise en place, du rôle que chaque acteur pourra assurer et de garder ce cap : la résorption du site via l’insertion de ses habitants.


  • Question : Assurez-vous également l’accompagnement social des personnes ?

Non. C’est bien sûr un des enjeux majeurs mais nous nous sommes toujours refusés à assurer l’accompagnement social. Selon nous, il faut séparer la phase du diagnostic de celle de l’accompagnement social. Ce sont deux approches distinctes, complémentaires mais qui doivent être réalisées par des structures différentes, gage de la réalisation d’un diagnostic objectivé.


À travers les années, nous nous sommes aperçus que la mise en place d’une politique publique nécessite une coordination et une articulation des acteurs associatifs et institutionnels. Cette coordination ne peut pas être assurée par une structure chargée de l'accompagnement social, qui se retrouverait à la fois juge et partie. Il peut aussi y avoir des enjeux économiques entre ces différents acteurs qui peuvent faire naître des tensions entre eux. L'objectif est de prendre du recul afin de réajuster les dispositifs en fonction des réalités sur le terrain, de répondre aux interrogations et préoccupations des travailleurs sociaux qui se retrouvent souvent démunis face à des situations complexes et d’accompagner le changement aux pratiques. Accompagner les habitants des bidonvilles demande une posture particulière qui nécessite une innovation du travail social : maîtriser la dimension collective d’un bidonville, prendre en compte des enjeux qui peuvent bloquer des stratégies d’insertion, développer l’aller vers…


  • Question : Votre rôle se concentre donc sur la coordination ?

Nous favorisons le lien entre deux mondes, celui des acteurs institutionnels et celui des associatifs, qui peuvent connaître des difficultés de compréhension. Or la fluidité et le travail commun est indispensable pour mettre en place des politiques de résorption.


Nous apportons également notre expertise, pour les situations qui relèvent de la traite des êtres humains afin d’appuyer les acteurs institutionnels et associatifs dans la mise en place de solutions efficaces pour favoriser le repérage, la protection des personnes victimes et leur réinsertion sociale.


En amont des propositions d’orientations stratégiques, nous organisons des temps de sensibilisation et de formation auprès des associations et institutions sur l’origine et les enjeux des migrations venant d’Europe de l’Est, sur les phénomènes d’emprise et la traite des êtres humains et sur notre méthode d’action.


  • Question : Pour vous aujourd’hui, quels sont les principaux défis à relever ?

Le premier défi est celui de la sécurisation des sites et de contractualisation avec les familles. Le constat est simple. Les bidonvilles peuvent exister depuis longtemps et peu d’actions peuvent y avoir été conduits. Notre préconisation est pragmatique : mettons en place des actions d’accompagnement social en sécurisant les habitants sur leurs lieux de vie et n’attendons pas qu’une date butoir d’évacuation du bidonville soit fixée avant de déployer des actions. L’objectif est bien que les habitants puissent intégrer des dispositifs d’hébergement à terme mais dans ce laps de temps qui peut être long, il faut bien mettre en place une stratégie d’accompagnement de ce public, au risque sinon de la précariser encore plus.


Le second défi est de mieux identifier les phénomènes d’emprise et de trouver des solutions pour les réduire, même si on constate une vraie évolution sur le sujet avec une prise en compte de leurs existences et de leurs impacts de plus en plus forte par les associations et les institutionnels. La contractualisation est une piste pour cadrer la vie sur le bidonville (par exemple, empêcher que des loyers soient exigés, réduire l’influence d’un éventuel chef de platz…) et engager les personnes vers un parcours d’insertion. Mais pour les situations complexes (prostitution, traite d’êtres humains), il faut trouver des solutions pour protéger les victimes, travailler avec la justice… C’est un travail de longue haleine et sur lequel beaucoup de choses restent à construire.


Le troisième défi est d’aligner les acteurs autour d’un objectif commun : la résorption des bidonvilles. La résorption des bidonvilles est un objectif souhaitable tant en matière d’aspiration des personnes qui y vivent qu’en matière de gestion de l’ordre public et d’un point de vue économique à long terme (le coût des évacuations répété étant plus important que les actions de résorption). Mais mobiliser le services techniques et élus des collectivités, de l’État, des associations, ainsi que les Conseils départementaux, les services sociaux, la justice, la protection de l’enfance, les partenaires européens dans les pays d’origine etc. autour de cet objectif reste un défi de taille. C’est pourtant indispensable pour gagner en efficacité et en rapidité dans les réponses apportées, les problématiques au sein d’un bidonville étant diverses.


Le quatrième défi est interne à notre organisation. En effet, face à la multiplication des missions de l’association, l’enjeu réside dans notre capacité à nous développer tout en continuant à conserver notre connaissance de terrain.


  • Question : Où intervenez-vous ?

Nous intervenons dans de nombreux territoires et avons réalisé de nombreux diagnostics depuis des années. Parmi les principaux, Nantes où nous travaillons depuis 2020 et où cette approche commence à faire ses preuves. Ce travail, nous le menons aussi à des degrés divers en Isère, dans les Yvelines et le Val-de-Marne...




 

À venir

Première formation en ligne destinée aux acteurs de la résorption

des bidonvilles : traite des êtres humains et l'emprise

le jeudi 19 octobre 2023 de 11h à 12h30

avec Alexandre Le Clève et Olivier Peyroux


 



Ressources




Pôle Résorption des bidonvilles

Délégation interministérielle à l'hébergement

et à l'accès au logement

Grande Arche de la Défense

92 055 LA DEFENSE Cédex

bottom of page